L’homme qui vient de s’exprimer n’est pas un inconnu pour la communauté scientifique de l’époque. Louis Agassiz avait été nommé cinq ans auparavant professeur et titulaire de la toute récente chair de sciences naturelles de l’Université de Neuchâtel.
Né en 1807 à Môtier, au bord du lac de Morat, Jean Louis Rodolphe Agassiz est fils de pasteur. Durant ses études en Suisse puis en Allemagne, il se passionne pour l’embryologie et la zoologie. Sourd à la vocation de médecin que son père lui prédestine, c’est dans les sciences naturelles qu’il veut faire carrière. Agassiz effectue ses premières recherches sur les poissons, mais ne peut se réduire à un seul domaine d’étude, tant sa soif de connaissances est grande. Ce désir de globalité l’amène à la paléontologie. Les fossiles d’oursins et de poissons le transportent vers des faunes disparues depuis longtemps, lui faisant entrevoir l’évolution qui rythme les espèces. Suite à de brillantes publications, Agassiz croise la route de Cuvier, le patron de la Science française, et de Humboldt, le fameux explorateur et naturaliste.
«Pas de glace, peu d’oursins, beaucoup de poissons!»
Tel est le conseil que lit Agassiz dans une lettre de son ami et mentor, Humboldt. Ayant eu vent de sa nouvelle lubie glaciaire, celui-ci s’inquiète de la diversification de ses recherches. En effet, son jeune protégé délaisse depuis quelques temps ses poissons fossilisés pour un sujet… d’une autre échelle.
D’abord réticent lui-même à l’idée d’une vaste extension des glaciers par le passé, Agassiz se convertit progressivement au cours de nombreuses excursions dans la Vallée du Rhône. Les moraines retrouvées en plaine, loin de l’emplacement actuel des glaciers ou les stries imprimées sur les parois rocheuses par la dynamique glaciaire en sont des signes incontestables. L’homme de terrain avisé qu’est Agassiz embrasse la question avec une vision originale. La présence de blocs erratiques alpins sur les flancs du Jura, jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres du Valais indiquent que l’extension glaciaire devait être bien supérieure à ce qui avait été envisagé jusqu’à lors. Fort de ce constat, le naturaliste avance l’hypothèse d’un «âge glaciaire» ayant touché la planète entière. Ce refroidissement général aurait constitué un bouleversement majeur ayant anéanti la faune et la flore des continents recouverts de glace. Cet «âge glaciaire» est conçu comme la dernière de nombreuses catastrophes qui ont ponctué l’histoire de la Terre, anéantissant les espèces vivantes.
Comme il était de mise à cette époque, Louis Agassiz était créationniste, ce qui ne l’empêche pas de conjuguer cette croyance avec l’observation de la nature afin de percer le «plan de la Création». L’étude des organismes fossiles ne le détrompe pas de cette conception, bien au contraire: l’extinction des espèces, survenant lors des cataclysmes passés, est invariablement suivie par une nouvelle création, obéissant ainsi au schéma planifié depuis l’origine des temps par l’intelligence divine. Selon Agassiz, si les espèces se transforment légèrement et que de nouvelles apparaissent au fil des catastrophes et des créations, c’est que la vie gagne en complexité, constituant une progression vers la créature parfaite: l’homme!
La gloire et des controverses
En 1846, dépité par l’échec de son mariage et criblé de dettes, Louis Agassiz embarque pour les États-Unis d’Amérique. Dans ses bagages il emporte son charisme et son exaltation à faire partager sa passion pour la connaissance de la nature qui auront tôt fait de le porter à un niveau de notoriété inégalé pour un savant. Le séjour américain du naturaliste devait durer deux ans, mais au bénéfice d’un tel prestige et d’un poste de professeur à Harvard, il s’installera définitivement à Cambridge.
Sur fond de Guerre de Sécession, Agassiz fait entendre une voix controversée, que d’aucuns lui reprochent aujourd’hui. Les États du Nord se positionnent – officiellement du moins – contre l’esclavagisme et le racisme. Rejetant l’esclavagisme également, Agassiz se questionne sur la place à réserver à ces expatriés Africains dans la société américaine. Tout en les considérant comme des êtres humains à part en entière, il affiche du dégoût et de la pitié face à ce qu’il juge être une race inférieure, impropre à se mélanger avec la «race blanche».
L’inflexibilité de ses idées aura une autre conséquence fâcheuse pour la postérité du savant suisse. En 1859, Charles Darwin publie «De l’origine des espèces», ouvrage devenu célèbre pour avoir défini les bases de la théorie de l’évolution. Dès la lecture du livre et jusqu’à sa mort en 1873, Agassiz se battra contre cette thèse «progressiste» qui va à l’encontre de sa conception religieuse de la nature. Chez Darwin, plus besoin de l’intelligence divine pour expliquer l’évolution des espèces, le hasard et l’influence de l’environnement suffisent. Le nombre croissant des adeptes du darwinisme n’entamera que peu les convictions d’Agassiz, dont les observations géniales, tout au long de sa carrière, et la contribution majeure à la Science ont eu à pâtir de cette dernière méprise.
On trouve en Amérique du Nord une région de petits lacs, vestiges du lac Agassiz. C'était un lac proglaciaire, c'est-à-dire formé par la fonte d'un gigantesque glacier. Il s'étendait sur des milliers de km2 entre le Canada et le nord des États-Unis.
Texte: Rédaction SimplyScience.ch
Sources:
- Irmscher, Christoph, Louis Agassiz[: creator of american science. Houghton Mifflin Harcourt Publishing Company, New York, 2013.
- KAESER, Marc-Antoine, Un savant séducteur : Louis Agassiz (1807-1873), prophète de la science. Editions de l’Aire, Vevey, 2007.
- de TSCHARNER, Bénédict, Savants: diversité des destins d’hier et d’aujourd’hui. Editions de Penthes / Editions Infolio, 2014.
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