A l’origine de pathologies humaines dévastatrices, les virus ont plutôt mauvaise presse auprès du public. Tu as certainement déjà entendu parler du VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine) l’agent infectieux responsable du SIDA (Syndrome d'Immunodéficience Acquise). Ce virus a tué 1.2 millions de personnes dans le monde rien qu’en 2014 (ce qui représente environ un sixième de la population Suisse). La récente épidémie d’Ebola a fait plus de 10’000 victimes depuis 2014. Et plus commun mais pas banal pour autant, le virus de la grippe saisonnière fait chaque année entre 250’000 et 500’000 victimes dans le monde.
Ces chiffres sont considérables mais il faut garder en tête que les virus pathogènes pour l’homme ne comptent que pour une partie infime de la totalité des virus présents sur notre planète. Sais-tu que les virus sont les entités biologiques les plus abondantes sur Terre? Dans chaque millilitre d’eau de mer on en retrouve plusieurs millions! Les virus sont aussi extrêmement diversifiés: leur génome peut être constitué d’ADN ou d’ARN, ils peuvent adopter des formes géométriques très variées et certains d’entre eux sont capables d’infecter les animaux, alors que d’autres infectent les plantes, les champignons et les bactéries.
Et oui, même les bactéries. Ces virus naturellement programmés pour infecter les bactéries sont appelés bactériophages, ce qui signifie littéralement «mangeurs de bactéries». Bon, ils ne les mangent pas vraiment. En réalité, les bactériophages sont capables de s’attacher spécifiquement aux bactéries grâce à des récepteurs présents à la surface de ces dernières.Les bactériophages injectent leur matériel génétique dans les bactéries et utilisent la machinerie cellulaire bactérienne pour se multiplier massivement. Cela aboutit, pour les phages à infection lytique, à la lyse des cellules bactériennes et à la libération de nouveaux phages. Un procédé intéressant qu’il est possible d’exploiter pour lutter contre certaines pathologies humaines!
Une alternative aux antibiotiques
A ce stade de l’article, il se peut que tu te dises que pour lutter contre les bactéries on a déjà les antibiotiques et tu as parfaitement raison. Le hic c’est que, depuis le milieu du XXe siècle, l’utilisation intensive et parfois abusive d’antibiotiques a favorisé les souches de bactéries résistantes aux antibiotiques. C’est le cas des Pseudomonas aeruginosa multi-résistantes qui posent de sérieux problèmes en milieux hospitalier. Les antibiotiques n’ont plus aucun effet sur ces souches de bactéries, permettant à ces dernières de se multiplier au détriment des patients. C’est là que peuvent intervenir les virus tueurs de bactéries car la plupart des bactériophages infectent spécifiquement une seule espèce de bactérie. Des chercheurs sont parvenus à isoler des bactériophages capables de détruire spécifiquement des souches de Pseudomonas aeruginosa multi-résistantes et une étude a démontré un potentiel clinique certain pour le traitement de patients souffrant d’otite.
Une ancienne thérapie qui a de l’avenir…
L’utilisation de bactériophages pour soigner des maladies d’origine bactérienne, ou phagothérapie, ne date pas d’hier, elle a été développée au début du XXe siècle. Mais après la seconde guerre mondiale, l’avènement des antibiotiques a marqué la fin de l’utilisation de ce mode thérapeutique dans les pays occidentaux. Il semble toutefois que nous soyons entrés dans une ère «post-antibiotique», ce qui a donné un nouvel élan à la recherche sur les bactériophages. Ils représentent une alternative intéressante car en plus d’être très sélectifs (et donc sans danger pour les gentilles bactéries qui constituent la flore microbienne de notre organisme) ils sont plus respectueux de l’environnement que les antibiotiques synthétiques. Et oui, ils sont bios!
…mais qui a ses limites
Maintenant, la phagothérapie peut te paraître un remède parfait contre les bactéries, mais comme toute thérapie, elle a aussi ses limites. Etant donné qu’un type de bactériophage s’attaque de manière très spécifique à une espèce ou à un groupe restreint de bactéries, il faut savoir précisément à quelle sorte de bactérie on a affaire pour que le traitement soit efficace. Par ailleurs, certains bactériophages peuvent injecter, en même temps que leur propre génome, des gènes de virulence aux bactéries sans pour autant aboutir à la lyse des cellules. Il faut donc s’assurer que ces phages ne se retrouvent pas dans le traitement. Même des bactériophages adaptés peuvent devenir inefficaces avec le temps car les bactéries évoluent constamment. C’est donc un «médicament» qui doit évoluer pour suivre sa cible, un peu comme le vaccin contre la grippe qu’il faut adapter au virus chaque année. Une autre limitation de la phagothérapie est le système immunitaire du patient qui va développer des anticorps contre ce qu’il considère comme des corps étrangers. La thérapie pourrait donc être efficace la première fois, mais il est possible que les bactériophages soient neutralisés par le système immunitaire ou que ce dernier y réagisse de manière très forte lors d’une utilisation ultérieure.
Malgré tout, les virus peuvent être nos alliés, et l’évolution des techniques, en virologie moléculaire notamment, a rendu possible leur utilisation à des fins thérapeutiques. Il est peu probable qu’à l’avenir les traitements aux antibiotiques soient totalement remplacés par la phagothérapie, mais les phages seront certainement utilisés pour traiter certaines pathologies.
Les bactériophages sont les virus les plus abondants sur la planète. Leur nombre total est estimé à 1031. Cela signifie qu’il y a un trillion (mille milliard!) de fois plus de bactériophages que de grains de sable sur terre. Ces virus sont présents dans tous les environnements où on retrouve des bactéries. Les bactériophages jouent un rôle important dans les processus environnementaux. Il est estimé que leur activité détruit chaque jour entre 10-40 % de la totalité des bactéries des océans. Ce recyclage bactérien participe à la sédimentation des fonds marins et au cycle du carbone. Les bactériophages sont aussi présents sur les muqueuses (par ex. intestinales) des hommes et des animaux et permettent de réguler la colonisation bactérienne de ces surfaces.
Texte: Rédaction SimplyScience
Sources principales: «Les phages, des virus guérisseurs», Le Monde.fr, 14 juin 2012.
Articles scientifiques (en anglais): «A century of phage research: Bacteriophages and the shaping of modern biology», Bioassay, 2015; «Experimental phage therapy against staphylococcus aureus in mice», Antimicrobial Agents and Chemotherapy, 2007; «A controlled clinical trial of a therapeutic bacteriophage preparation in chronic otitis due to antibiotic-resistant Pseudomonas aeruginosa; a preliminary report of efficacy», Clinical Otolaryngology, 2009.
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