Parler de «mille-pattes» est certes exagéré, la plupart des représentants de ce groupe d’animaux sont même très loin du compte. Certaines espèces possèdent à peine 26 pattes et une seule mériterait presque son nom, puisqu’elle en compte 750. Afin d’éviter que les pattes ne traînent partout ou pire, qu’elles ne s’emmêlent, chaque paire accomplit le même mouvement incurvé, produisant les harmonieuses ondulations qui caractérisent un mille-pattes en déplacement.
Un dévoreur de feuilles mortes
Les mille-pattes n’aiment pas être sous le feu des projecteurs: ils vivent cachés sous les feuilles mortes ou dans le sol. Mais ces acteurs de l’ombre n’en jouent pas moins un rôle important dans la formation de l’humus, en particulier dans les forêts. Ils se nourrissent essentiellement de feuilles mortes et on estime que chaque année, ils transforment un quart des feuilles tombées sur le sol. Ils apprécient en particulier celles d’érable, de noisetier et d’aulne. Dans les forêts tropicales, ce sont même les principaux décomposeurs de la litière. Des feuilles consommées par les mille-pattes ne subsistent que les nervures et les parties ingérées sont transformées dans leur tube digestif en un précieux humus. Les bactéries et microorganismes présents dans l’intestin assistent assidûment ce processus de décomposition. Les déjections qui en résultent, solides et riches en substances nutritives, améliorent la structure du sol et servent de base d’alimentation à d’autres organismes du sol. Ainsi, les éléments nutritifs sont libérés à petite dose et peuvent être à nouveau assimilés par les arbres. Au final, lorsqu’ils sont présents dans les jardins ou dans les tas de compost, l’activité des mille-pattes contribue aussi à une récolte abondante de légumes.
Un être pacifique
À ce jour, 137 espèces de mille-pattes ont été identifiées en Suisse; on en dénombre environ 10'000 à l’échelle mondiale, réparties sur tous les continents. Les ancêtres des mille-pattes vivaient dans l’eau et de nombreuses espèces actuelles, pas encore totalement adaptées à la vie terrestre, continuent de privilégier les milieux humides. Contrairement à leurs lointains cousins les centipèdes (parmi lesquels bien peu possèdent réellement 100 pattes!), qui sont de féroces prédateurs, les mille-pattes sont des compagnons pacifiques. Pour se protéger des parasites et des bactéries, ils consacrent chaque jour plusieurs heures à des soins corporels. Ils n’ont pas d’armes offensives, mais le compensent par une solide carapace. Beaucoup d’espèces se défendent en s’enveloppant en permanence dans un nuage de substances à l’odeur nauséabonde; d’autres peuvent même asperger leurs ennemis avec un cocktail de produits toxiques, émis depuis des orifices latéraux. En dernier recours, si aucune autre méthode n’a donné de résultats, les mille-pattes s’enroulent en spirale. Certaines espèces ont si bien perfectionné cette technique qu’elles parviennent à former une sphère complètement fermée.
Un peu de respect s’il vous plaît!
De temps en temps, les mille-pattes se rassemblent pour entreprendre des migrations massives dont on ne connaît pas l’objectif. Lorsque cela se produit dans des zones habitées, ils peuvent même faire la une de la presse locale. Sur Google, sous l’entrée «mille-pattes», nombreuses sont les pages qui évoquent un «fléau» et les conseils donnés dans les forums sont généralement de les écraser ou de les empoisonner, voire d’éliminer tous leurs abris potentiels dans les jardins et de tondre et scarifier encore plus souvent les pelouses. Considérant l’importance de ces animaux dans le fonctionnement des sols et les services qu’ils rendent ainsi aux humains, ces mesures apparaissent totalement déraisonnables. Les mille-pattes ne piquent pas, ne mordent pas, n’endommagent ni les maisons ni les meubles et ne se nourrissent pas de plantes vivantes. En outre, ils ne risquent guère de se multiplier dans les bâtiments car les conditions y sont trop sèches. Ainsi, plutôt que de susciter le dégoût et la répulsion, les mille-pattes méritent amplement notre respect et notre admiration.