Du vide intersidéral recréé en laboratoire
Dans le laboratoire du Prof. Philipp Aebi à l’Université de Fribourg, tout l’espace est occupé par une machine en acier inoxydable qui permet de fabriquer de l’ultra-haut vide. Cet ultra-haut vide correspond au vide que l’on trouve dans l’Espace. Il faut imaginer une pièce de 8 mètres par 4, avec cette énorme machine qui ressemble un peu à un vaisseau spatial, avec plein de pompes, de bras mécaniques et de hublots. La machine fait pas mal de bruit à cause des pompes qui enlèvent les molécules présentes dans l’air pour créer l’ultra-haut vide. Comme on n’arrive pas à passer en une seule étape de l’air ambiant à l’utra-haut vide, il faut utiliser deux pompes successives séparées et faire passer l’air «à moitié vide» dans une chambre intermédiaire. On manipule les échantillons qui sont dans la machine avec des bras mécaniques reliés à l’extérieur, mais de façon totalement étanche. Il y a un sas pour introduire l'échantillon, ensuite on referme le sas et on enlève l’air.
Purifier l'échantillon
Mais l'échantillon est contaminé avec des atomes d’oxygène ou de carbone présents dans l’air et il faut le purifier avant de faire des mesures sur le matériau. Pour un matériau en couches, on peut coller un scotch avant de le mettre dans la machine et d'arracher le scotch à l’intérieur. De cette façon on enlève toute une couche de matériau et les impuretés qui sont collées dessus. L’autre technique que l’on utilise pour purifier un échantillon, c’est de le chauffer: de cette manière, les impuretés s’évaporent. On doit aussi bombarder la surface de l’échantillon avec des molécules lourdes comme de l’argon pour «décoller» les impuretés. Ces molécules ne se recombinent pas avec le matériau et sont pompées loin de l’échantillon avec les impuretés. Après ça, il faut encore combler les cratères en chauffant de nouveau le matériau.
… avant de lui arracher des électrons!
Maintenant on peut commencer à arracher des électrons au matériau à l’aide de rayons lumineux. C’est pour cela qu’il nous faut de l’ultra-haut vide, sinon les électrons entreraient en collision avec les molécules d’air. On amène l’échantillon à l’aide des bras mécaniques dans la chambre de mesure où un analyseur va pouvoir détecter la position des électrons arrachés et en déduire leur énergie à l’intérieur du solide. Suivant comment on incline le matériau, il n’y a pas le même nombre d’électrons qui partent. On obtient au final une cartographie de l’organisation des électrons dans le matériau. On peut faire ces mesures à différentes températures, dans la machine le matériau peut être refroidi jusqu’à 10 kelvin (-263 °C). On utilise un bras refroidi à l’hélium, qui par contact, va refroidir le matériau. On peut aussi utiliser un contre-chauffage avec une résistance, ce qui permet de faire des paliers tous les 10 kelvin par exemple.
Cartographier le matériau
Connecté à la machine, il y a aussi un microscope électronique à effet tunnel qui permet de faire des mesures au niveau des atomes du matériau. En passant l’échantillon directement d’un instrument à l’autre, on évite de le contaminer de nouveau avec l’air ambiant. On peut mesurer un courant entre un atome et la pointe du microscope, et en déduire le nombre d’électrons qui passent. La machine qui arrache des électrons permet de connaître l’angle avec lequel est parti l’électron, mais pas le lieu exact d’où il est parti. Cette information, on peut l’obtenir avec le microscope. On combine donc les données fournies par la machine et le microscope pour réaliser la carte de la position des électrons. Cet arrangement spatial des électrons détermine les propriétés optiques ou électriques du matériau.
Pas de véritable vaisseau spatial dans ce laboratoire de physique, mais des instruments qui permettent de faire des recherches de pointe sur les propriétés des matériaux solides. Et contrairement à l’Espace, le vide se trouve à l’intérieur du «vaisseau»!