Froid mordant la nuit, rayonnement solaire intense la journée, pluies diluviennes alternant avec des conditions désertiques: il n’est pas étonnant que de nombreuses zones de haute montagne ou de régions arides semblent dénuées de toute vie. Cependant, les apparences sont trompeuses: les premiers millimètres de ces sols apparemment nus sont en réalité recouverts d’organismes qui forment une couche vivante, une croûte biologique.
Communauté d’experts de la survie
Lichens, algues, bactéries, mousses et champignons s’associent en une communauté complexe extrêmement efficace sur le plan écologique. Ces organismes sont très résistants: certaines espèces de lichens peuvent même survivre deux semaines dans l’espace. Elles peuvent se dessécher entièrement sans dommage et reprendre vie rapidement avec un peu d’humidité. La rosée matinale par exemple suffit à relancer en quelques secondes les processus métaboliques.
Cette biocénose est soudée par de véritables colles produites par les organismes, qui lient aussi les particules de sol. La croûte ainsi formée empêche l’eau et le vent d’éroder la fine couche de terre et préserve ainsi tout le biotope. Les croûtes biologiques intactes constituent donc une protection importante contre l’érosion en haute montagne.
En outre, les organismes qui vivent sur ces sols préparent le lit de semence pour les plantes à fleurs. Bon nombre de lichens et de bactéries sont en effet capables de fixer l’azote atmosphérique et améliorent la fertilité de ces terres encore jeunes. Pour chaque hectare, on compte ainsi chaque année plusieurs kilogrammes d’azote qui enrichit ces sols bruts, pauvres en éléments nutritifs. En l’initiant, ces organismes jouent donc un rôle fondamental dans la formation des sols.
Couche fragile
En Suisse, les croûtes biologiques se trouvent surtout dans les Alpes et sur les pelouses sèches. A l’échelle mondiale, elles sont très répandues et couvrent une superficie de quelque 50 millions de kilomètres carrés, soit cinq fois la surface de l’Europe. Elles se situent en particulier dans les régions arides et les déserts arctiques, où elles ont déjà été beaucoup étudiées, contrairement aux croûtes biologiques que l’on trouve dans les Alpes. Les croûtes biologiques représentent une biomasse considérable: elles contiennent environ 7 % du carbone stocké par les végétaux dans le monde.
Si les organismes qui la composent sont extrêmement résistants, la croûte biologique est très sensible aux contraintes mécaniques. Des scientifiques ont montré que dans l’Antarctique, une empreinte de pied restait visible pendant plus d’un siècle. Lorsque la croûte est piétinée ou parcourue par des véhicules, elle se brise et expose le sol à l’érosion. Sur les pelouses sèches de Suisse, le pacage d’animaux trop lourds ou trop nombreux entraîne rapidement sa disparition. Il en est de même des apports d’engrais. C’est pourquoi beaucoup de lichens et de mousses sont menacés. Les croûtes biologiques forment un milieu fragile qui doit être préservé pour qu’elles puissent continuer de remplir leurs fonctions.