La chute de Poïétine lui semble interminable. La voilà qui glisse le long d’un tube gluant, un peu mou, où il fait noir comme au fond d’un puits. Les parois de ce drôle de toboggan bougent, se contractent, cherchant à la propulser toujours plus loin. Au bout d’un moment, le tube s’élargit et Poïétine atterrit lourdement sur une sorte de replat. Un peu sonnée, elle reste sans bouger quelques secondes et observe les lieux. On dirait une sorte d’immense caverne très humide. Il y fait chaud et… beurk… ça ne sent pas très bon.
«Mais où ai-je atterri? pense Poïétine. Ce n’est pas du tout comme on me l’avait décrit. Alors quoi, non seulement le confort est zéro, mais en plus l’arrêt n’est manifestement pas le bon! Bon, ben, ‘suis pas là pour rêvasser moi. J’ai du boulot.» Poïétine se relève péniblement, en frottant ses bosses. Mais soudain, le sol glissant se dérobe sous elle et en deux temps trois mouvements la voilà à nouveau par terre.
«C’est une vraie patinoire ici!» s’exclame-t-elle furieuse.
«Qui va là?» retentit une grosse voix tonitruante.
«Qui va là? Qui va là?» répond l’écho.
Puis le silence. Poïétine, surprise, n’ose bien sûr ni répondre, ni bouger et reste figée, retenant son souffle. Soudain, elle entend un son régulier. «Tchac… tchac… tchac…» Poïetine s’avance prudemment en direction du bruit qui résonne de plus en plus fort. Et là, au détour d’une bosse, apparaît de dos un imposant personnage. «Tiens, voilà quelqu’un qui pourra certainement me renseigner» pense-t-elle en s’avançant d’un pas enjoué. Mais voilà qu’elle ralentit, horrifiée par la scène qui se déroule devant elle. Une grosse protéine, toute en sueur, s’affaire autour de ce qui ressemble fort à une table de boucher. Sur celle-ci, Poïetine reconnaît Albumine! Elle est attachée à la table! Lili a mangé un œuf à la coque au petit déjeuner; c’est dans le blanc de l’œuf qu’habite Albumine! La protéine boucher tient dans sa main un hachoir qu’elle laisse tomber régulièrement sur la table, tranchant en menus morceaux la pauvre protéine!
Maîtrisant à grand-peine sa peur, Poïétine prend une voix aussi douce et agréable que possible pour formuler un tout petit «Bonjour...» En guise de réponse, seul un grognement émane de la bouche du boucher qui n’interrompt pas pour autant sa macabre activité. Prenant ceci pour une invitation à poursuivre, Poïetine se racle la gorge:
«S’il vous plaît, pourriez-vous me dire où nous sommes ?»
«Mmhrrr…» grogne à nouveau le boucher à la mine patibulaire.
S’ensuit un long silence. Poïétine reste plantée là, ne sachant trop si elle ferait mieux de déguerpir, tandis que le boucher continue son hachage méthodique. Finalement, Poïétine décide d’insister une dernière fois: «Hum. Je suis en mission commandée savez-vous… une mission assez importante d’ailleurs… En fait la vie de Lili en dépend…»
A ces mots, le boucher stoppe net son travail et se tourne vers Poïétine, son hachoir toujours à la main. Celle-ci réalise alors qu’il n’y a qu’elle, le boucher et la pauvre protéine dépecée sur la table. Elle sent une angoisse terrible la submerger et commence à reculer, soudain consciente du danger qui plane sur elle.
«Cher Monsieur, je vois que vous avez énormément de travail, je vais donc vous lais…» A cet instant, le boucher brandit très haut son hachoir prêt à le laisser tomber sur Poïétine. Celle-ci se met alors à courir dans tous les sens sans savoir où fuir, car cet affreux boucher bloque la seule issue et remonter dans le toboggan lui paraît clairement impossible. «Me cacher, je dois me cacher à tout prix!» pense-t-elle. VLAN! Le premier coup de hachoir tombe à quelques millimètres de Poïétine. «Visiblement, ses intentions n’ont rien d’amical!» A peine cette réflexion faite que le deuxième coup de hachoir s’abat, puis le troisième et le quatrième. A chaque fois Poïétine les évite de justesse mais elle sent bien que l’étau se resserre et qu’elle ne pourra bientôt plus lui échapper. Le hachoir se soulève une nouvelle fois. Poïétine – acculée dans un coin – ne peut plus esquiver le coup fatal. Sa fin est proche. Elle ferme les yeux, attendant le coup de grâce…
Texte et illustrations: Vivienne Baillie Gerritsen et Sylvie Déthiollaz (Swiss-Prot Group, Swiss Institute of Bioinformatics)
Titre original: «Globine et Poïétine sur la piste de la moelle rouge»
La version allemande en ligne a été retravaillée par Redaktion SimplyScience.ch
© 2003 Vivienne Baillie Gerritsen, Sylvie Déthiollaz, Swiss-Prot Group, Swiss Institute of Bioinformatics
ISBN 2-9700405-2-2
L'histoire est disponible en français et anglais chez Lulu.com.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien site. Merci de nous signaler, à redaction(at)simplyscience.ch, toute erreur d'affichage.