Carnets de chercheurs

En Arctique pour étudier le changement climatique

Anja Hajdukovic et Amélie Gelbmann sur le bateau de recherche

Anja Hajdukovic (à gauche) et Amélie Gelbmann (à droite) en train de tester l'instrument construit à bord qui doit collecter l'eau de surface. Image : Anja Hajdukovic, UNIGE

Amélie Gelbmann, est étudiante en sciences de l’environnement à l'Université de Genève. Elle a passé un mois sur un bateau en Arctique dans le cadre de l'Arctic Floating University Cette expédition en mer réunit chercheurs et étudiants afin d'étudier le changement climatique dans cette région reculée. Elle nous raconte cette expérience unique.

Qu’est-ce que le programme Arctic Floating University ?

Ce programme consiste en une expédition d’environ un mois dans l’océan Arctique, plus précisément dans la mer de Barents, à bord d’un navire russe spécialement dédié à la recherche. Le but est d’étudier les impacts du changement climatique dans cette région particulièrement vulnérable. Ce qui est intéressant, c’est que ce programme est interdisciplinaire et réunit des étudiants, professeurs et chercheurs de différents horizons et venus du monde entier. Depuis quelques années, la « team Suisse » a rejoint l’expédition et travaille sur plusieurs projets tels que les zooplanctons, les microplastiques ou encore l’océanographie physique. Il y a aussi une équipe en communication qui met par exemple à jour le site uniartic.ch.

Y a-t-il une préparation spécifique ?

Oui, avant le départ nous avons dû dans un premier temps suivre des workshops sur les enjeux en Arctique, des ateliers de culture russe, de team building, et des cours relatifs à nos projets (océanographie, biodiversité, changements climatiques, etc). Nous avons aussi dû tester l’équipement nécessaire aux échantillonnages (seringues, machines, etc) et aux analyses (par exemple microscope) et nous préparer aux méthodes de collecte des données. Mon équipe (nous étions 2 par projet) est par exemple allée s’entraîner au préalable sur un lac.

Pourquoi aller en Arctique pour étudier le changement climatique ?

La région arctique se situe au pôle Nord et est constituée principalement d’un océan entouré de terres. La température de l’air en Arctique se réchauffe plus de 2 fois plus vite que la moyenne mondiale, entraînant la fonte des glaces, de la neige et du permafrost (sol qui est gelé toute l’année). Cela engendre des modifications dans les processus de distribution d’énergie à la surface de la Terre notamment car la neige et la glace réfractent les rayons solaires et les renvoient vers l’atmosphère grâce à leur couleur blanche. Lorsque la neige et la glace fondent, les rayons solaires ne sont plus aussi bien réfléchis et l’énergie reste à la surface de la Terre, ce qui accentue le réchauffement. Ces changements affectent aussi la circulation océanique, la végétation, la biodiversité et bien sûr les Hommes qui vivent dans ces régions.

Quel était ton projet à bord ?

La recherche de mon équipe portait sur les échanges de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) entre l’océan et l’atmosphère. En effet, l’océan arctique est un puits de dioxyde de carbone et une source de méthane, deux gaz à effet de serre qui renforcent le réchauffement lorsqu’ils sont présents dans l’atmosphère. L’objectif est d’examiner et de calculer les flux de gaz à la surface de l’océan, et de localiser les puits et les sources les plus importants. Les données récoltées servent aussi à observer s’il y a des changements dans le temps de la concentration de ces gaz dans la mer de Barents.

Qu’est-ce que le méthane et pourquoi s’intéresser à ce gaz ?

Le méthane est un gaz disponible naturellement et composé de quatre atomes d’hydrogène et d’un atome de carbone. Il se produit naturellement dans des milieux pauvres en oxygène, par exemple dans les sédiments des lacs et des océans. En Arctique on le trouve aussi sous forme d’hydrates (molécules d'eau formant des cages qui piègent des molécules de gaz), très sensibles aux changements de température. C’est un gaz à effet de serre moins connu que le dioxyde de carbone mais beaucoup plus puissant ! Sa concentration ne cesse d’augmenter dans l’atmosphère à cause de l’activité humaine et on estime qu’il est responsable de 20 % de l’effet de serre depuis 1750. En effet, il est 85 fois plus puissant que le dioxyde de carbone sur une période d’environ 10 ans, ce qui correspond à son temps de résidence dans l’atmosphère. Donc même s’il est présent en moins grande quantité que le dioxyde de carbone, son potentiel à augmenter l’effet de serre est beaucoup plus important.

Comment as-tu pu mesurer le dioxyde de carbone et le méthane sur le bateau ?

Conductivity – Temperature

La rosette de 12 bouteilles et le CTD. Image : Anja Hajdukovic, UNIGE

Nous avions ce qu’on appelle une rosette de 12 bouteilles que l’on plongeait dans l’eau à chaque arrêt et une machine nommée CTD (Conductivity – Temperature – Depth soit Conductivité – Température – Profondeur) qui mesurait différents paramètres directement dans l’eau. Afin de collecter de l’eau de mer qui servait à plusieurs équipes, chaque bouteille s’ouvrait à une profondeur spécifique. Nous avons aussi construit un instrument à bord pour collecter l’eau de surface lorsque ce n’était pas possible d’utiliser la rosette.


Une méthode appelée la « headspace method » nous permettait d’extraire les gaz de l’eau et de les conserver ensuite dans des éprouvettes. Cette méthode consiste à secouer pendant deux minutes les petites bouteilles qui contenait une partie d’eau de mer et une autre partie d’air afin que les molécules de gaz présentes dans l’eau aillent dans l’air de la bouteille (la « headspace »).

Ainsi, il nous suffisait ensuite de capturer l’air et les gaz de la bouteille et de les mettre dans des éprouvettes afin de l’analyser en Suisse.

Après analyse des échantillons, quelques calculs nous permettaient de retrouver la concentration de gaz dans l’eau de mer.

Quel était le quotidien à bord ?

L’équipage, les professeurs et étudiants étaient répartis dans des cabines de 2 ou 3 personnes. La journée commençait par le petit déjeuner à 7h30, puis nous avions des cours sur l’Arctique de 9h à 15h avec une pause à midi. Ces cours pouvaient être aussi bien des sciences humaines que des sciences « dures ». Ceux qui devaient collecter des données étaient dispensés de suivre les cours. Dans mon équipe, nous nous relayions pour collecter les données et ils nous arrivaient de passer plusieurs nuits d’affilée à rester éveillés, donc nous dormions une partie de la journée. Dès 15h, chacun pouvait vaquer à ses occupations jusqu’au dîner : sieste, jeux de cartes, observation du paysage, séance de sport et goûter. Le soir nous regardions des films, jouons à des jeux et profitions du paysage autour d’un verre sur le pont.

Qu’est-ce que tu as le plus aimé et le moins aimé durant cette expédition ?

Vue depuis la cabine du capitaine

Vue depuis la cabine du capitaine (Image: Amélie Gelbmann)

Je n’oublierai jamais les paysages et l’atmosphère qui règnait sur l’océan. Nous étions au milieu de nulle part, l’horizon était pur et à perte de vue. J’ai pu voir beaucoup d’animaux comme des otaries, des baleines, des dauphins et pleins d’oiseaux qui suivaient notre bateau. J’ai adoré la collecte de données pendant la nuit car presque tout le monde dormait, c’était très calme mais il faisait encore jour ! En effet il ne fait jamais nuit en été au Pôle Nord. Je me suis très bien entendu avec les étudiants d’autres pays et c’était très intéressant de partager des moments avec eux et d’en apprendre plus sur leurs cultures. Le plus difficile à bord c’était le mal de mer les premiers jours. La plupart des participants étaient malades et il fallait rester allongés pour ne pas vomir. Durant la tempête qui a duré deux jours, c’était aussi très difficile de ne pas être malade tellement le bateau était secoué dans tous les sens.

Créé: 21.08.2020
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